"Jane Eyre" est le nom du personnage central de cette histoire qui nous emmène en Angleterre (et non en Irlande comme le laisse faussement croire le nom de l'héroïne) à l'époque victorienne.
Jane revient sur ses années de jeunesse, sur cette veuve insensible qui fut sa tante et sa tutrice, sur son adolescence passée entre les murs de l'orphelinat Lowood ainsi que sur cet homme, Mr Rochester, dont la rencontre la marquera à tout jamais.
"Jane Eyre" commence comme une histoire de Cendrillon.
A la mort de ses parents, Jane se voit confiée à son oncle mais celui-ci décède rapidement et la petite fille se voit dépendante du bon vouloir de sa tante et de ses enfants.
De ses années passées au château de Gateshead Jane se souvient de son cousin John Reed qui la martyrisait et de ses soeurs indifférentes à sa condition mais surtout de cette tante qui l'héberge à contre-coeur, prisonnière d'une promesse faite à son défunt mari et incapable d'aimer cette petite fille qu'elle choisit d'envoyer à l'orphelinat Lowood afin de ne plus l'avoir à portée de vue.
" Toutes les violentes tyrannies de John Reed, toute la hautaine indifférence de ses soeurs, toute l'aversion de sa mère, toute la partialité des domestiques remontèrent à la surface de mon esprit agité comme un dépôt noirâtre dans un puits troublé. Pourquoi devais-je toujours souffrir, toujours être rabrouée, toujours accusée, condamnée sans cesse? Pourquoi ne pouvais-je jamais plaire? Pourquoi était-ce en vain que j'essayais de gagner les faveurs de quiconque? " p.37
La lecture des 4 premiers chapitres suscite chez le lecteur contemporain un profond sentiment d'injustice oscillant entre pitié et indignation vis-à-vis de cette enfant persécutée à tort comme il est souvent de mise dans les contes (la scène de la "chambre rouge" est à cet effet des plus révoltantes).
Les chapitres suivants évoquent les débuts de Jane à Lowood et dépeignent la précarité de l'établissement, l'alimentation minimale, la discipline exacerbée sous le couvert de la religion avec tout son lot d'hypocrisie et d'injustice et dont Mr Brocklehurst, gérant de l'orphelinat, se veut le plus fier représentant.
Heureusement Jane trouve le réconfort en la personne de Melle Temple, directrice de l'orphelinat, ainsi qu'auprès d'Helen Burns qui restera longtemps sa seule amie.
Bien que Jane se montre d'une nature docile, la jeune femme ne cache toutefois pas ses positions.
" Mais j'ai en moi une conviction, Helen : il faut que je déteste ceux qui, quoique je fasse pour leur plaire, persistent à me détester; il faut que je résiste à ceux qui me punissent injustement.
C'est pour moi aussi naturel que d'aimer ceux qui me montrent de l'affection, ou de me soumettre au châtiment quand je le trouve mérité. " p.101
Le début du chapitre 10 nous informe que huit années se sont écoulées depuis l'arrivée de Jane à Lowood, la jeune femme semble s'être accommodée de la vie monotone à l'orphelinat où elle exerce le métier de professeur.
" Je n'avais eu aucune communication épistolaire ou verbale avec le monde extérieur. Les règles scolaires, les tâches scolaires, les habitudes et les idées scolaires, ainsi que les voix, les visages, les formules, les costumes, les préférences et les antipathies scolaires : voilà ce que je connaissais de l'existence." p.143
Du moins est-ce le cas en apparence car la jeune femme souhaite en réalité voir du pays, sortir des murs de Lowood pour se mettre au service d'une autre maison.
Elle réussit à obtenir un poste de gouvernante à Millcote au manoir de Thornfield où elle est chargée de l'éducation d'Adèle Varens, pupille du maître des lieux, Mr Rochester.
Jane Eyre découvre un homme mystérieux souvent parti en voyage, d'humeur changeante et peu habile aux formules de politesse qu'il qualifie de "vieilles dames simples d'esprit".
En dépit de sa rudesse, Jane se sent irrémédiablement attirée par cet homme.
Une complicité naît au fil des jours entre la gouvernante de plus en plus jalouse et son maître qui finit par lui déclarer son amour et la demander en mariage ( scène où il la fait d'ailleurs bien tourner en bourrique!).
" Avec les femmes qui ne me plaisent que par leur visage, je suis le diable incarné quand je m'aperçois qu'elles n'ont ni âme ni coeur, quand elles me découvrent une perspective de platitude, de banalité ou même de sottise, de grossièreté et de mauvais caractère; mais envers l'oeil clair et la langue éloquente, envers l'âme de feu et le caractère qui plie mais ne rompt pas, le caractère à la fois souple et ferme, docile et cohérent, je suis à tout jamais tendre et fidèle.
- Avez-vous jamais rencontré un tel caractère, Monsieur? Avez-vous jamais aimé un tel être?
- Je l'aime en ce moment. " p. 406 (suivi du sourire niais de la lectrice)
Malheureusement pour Jane, Mr Rochester semble avoir oublié un léger détail, il est déjà marié et sa femme est bien vivante, enfermée par ses soins au plus haut étage du manoir.
" Je contemplais mes désirs chéris, hier si florissants et lumineux; ils étaient étendus, cadavres roides, glacés, livides, à qui rien ne pourrait jamais rendre vie. Je contemplais mon amour : ce sentiment qui appartenait à mon maître et qu'il avait créé; il frissonnait dans mon coeur, comme un enfant malade dans un berceau trop froid : la souffrance et l'angoisse s'étaient emparées de lui; il ne pouvait plus se réfugier dans les bras de Mr Rochester et se réchauffer contre sa poitrine. " p.459Accablée par le chagrin, Jane quitte précipitamment le manoir et est retrouvée dans un état catatonique par les demoiselles Rivers et leur frère Saint-John (dont elle apprendra plus tard qu'ils sont de la même famille) qui lui offrent un poste d'institutrice au village.
" Je ne dois pas oublier que ces petites paysannes mal fagotées valent autant, par la chair et le sang, que les rejetons de la plus noble généalogie, et que les germes naturels de l'excellence, du raffinement, de l'intelligence, des bons sentiments, ont autant de chance d'exister dans leur coeur que dans celui des filles les mieux nées." p.553
Suite à la mort de sa tante, Jane apprend qu'elle hérite d'une somme importante léguée par son oncle. Son cousin lui propose le mariage mais elle refuse, trop curieuse de savoir ce qu'est devenu son seul et unique amour Mr Rochester...
Qu'adviendra-t-il de ces deux héros? Réponse dans le livre :)
"Jane Eyre" est le portrait d'une femme de condition modeste mais également le récit d'une époque dont on aurait peine à regretter les moeurs tant celles-ci semblaient rigides et peu enclines à envisager la liberté des femmes.
Charlotte Brontë s'adresse constamment au lecteur dans un récit écrit à la première personne du singulier qui témoigne de la volonté de l'auteure de s'affirmer en tant que femme et qui ne se cache pas de revendiquer l'égalité entre les deux sexes.
" Les femmes sont censées être très paisibles en général, mais les femmes ont tout autant de sensibilité que les hommes; il leur faut des occasions d'exercer leurs facultés et un champ d'action tout comme à leurs frères; elles souffrent de contraintes trop rigides, d'une stagnation trop complète, exactement comme en souffriraient des hommes; et c'est par étroitesse d'esprit que leurs compagnons plus privilégiés décrètent qu'elles devraient se borner à faire des entremets et à tricoter des chaussettes, à jouer du piano ou à broder des sacs.J'ai été séduite par le personnage de Jane Eyre qui, bien qu'évoluant dans un milieu austère et hypocrite, parvient à préserver son coeur pur et à trouver la bonté quand celle-ci se présente à elle.
Il est sot de les condamner ou de se moquer d'elles quand elles cherchent à faire ou à apprendre plus de choses que la coutume n'a déclarées nécessaires aux personnes de leur sexe." p.180
Quant à l'écriture, elle présente cet aspect suranné qui plonge le lecteur hors du temps et donne tout son charme au récit.
Un classique à lire absolument.
Ayant lu ce roman en VF, j'ai toutefois découvert les épisodes réalisés par la BBC en VO.
Bien que l'esprit du roman s'y retrouve tout à fait, j'ai tout de même deux remarques à faire concernant cette adaptation.
L'enfance de Jane Eyre a, selon moi, été brassée trop rapidement. Je sais bien qu'une série ou un film ne peut jamais fournir autant de détails qu'un roman mais j'ai trouvé que le début de l'histoire présenté sous forme de flashbacks avait été évoqué trop brièvement.
J'ai constaté que plusieurs éléments du livre avaient été amplifiés dans le but, je suppose, d'ajouter de la tension dramatique à l'histoire.
Je pense notamment aux retrouvailles de Jane et Mr Brocklehurst lors desquelles le directeur annonce publiquement la prétendue tendance au mensonge de Jane et la fait rester debout sur un tabouret durant 30 minutes dans le livre et plusieurs heures dans la série.
J'aurais d'autres exemples à donner mais je ne veux pas gâcher la découverte de la série qui, comme je le disais, reflète à merveille l'esprit du roman.
"Jane Eyre" était une lecture commune à laquelle j'ai eu la joie de participer en même temps que Mango, Marie, Emilie et Abeille.
"Jane Eyre" est également le second roman lu dans le cadre du Matilda's contest et le premier pour le Challenge English classics de Karine:) et le Challenge J'aime les classiques de Marie-L.
Vous voyez que les challenges ne sont pas difficiles à accomplir ^^