Publié au mois d'août dernier, "Une histoire des best-sellers" est un essai rédigé par l'écrivain français Frédéric Rouvillois, auteur de "Le Collectionneur d'impostures" ou encore d'"Histoire du snobisme".
Comment peut-on présager du fait qu'un livre deviendra ou non un best-seller ?
Daniel Defoe, Cervantès et Jonathan Swift se doutaient-ils que leurs romans feraient le tour du monde ? Stendhal aurait-il pu espérer que "Le Rouge et le Noir" figure parmi les classiques de la littérature française ?
Radiguet, J.K Toole, Stieg Larsson s'attendaient-ils à une gloire posthume ? James Bond serait-il devenu culte sans l'intervention de JFK ?
Qu'en serait-il de "Candide", "Les Lettres persanes", "Les Versets sataniques", "Lolita" ou encore de "Madame Bovary" sans l'appui de la censure ?
En vérité, rien n'est plus incertain que le succès littéraire, c'est la leçon que Frédéric Rouvillois tire de son ouvrage.
A l'aide de nombreux exemples connus ou moins connus, l'auteur nous emmène à la rencontre de ces livres au destin souvent étonnant.
Divisé en 3 parties, "Une histoire des best-sellers" se consacre tout d'abord aux critères qui définissent un best-seller : le chiffre de ventes correspondant au nombre d'exemplaires vendus (mais pas forcément lus), le temps et le lieu.
Force est de constater que ces données s'avèrent au final toutes relatives. Le chiffre de ventes peut être aisément falsifié par l'éditeur pour doper ses ventes (procédé qui est loin d'être récent).
Un livre peut prendre plusieurs décennies avant d'accéder au rang de best-seller et rien ne garantit qu'il traversera les époques sans prendre quelques rides.
Il arrive souvent qu'un best-seller ne bénéficie de ce statut que dans son pays d'origine, ne réussissant pas à conquérir d'autres publics (c'est notamment le cas des "Bienveillantes" de Jonathan Littell, couronné de prix en France mais peu considéré dans le reste du monde).
A ce propos, je n'ai guère été surprise d'entendre parler d'isolationnisme américain par rapport à la littérature étrangère...
Dans la seconde partie dédiée aux auteurs, il est question de bon nombre de méthodes utilisées par les auteurs, et surtout par les éditeurs, pour parvenir au succès.
Imposture littéraire (Dumas, Verne), schémas stéréotypés (Cartland, Musso/Lévy), plagiat (Desforges), publicité, scandale, tous les moyens sont bons pour conquérir son public et faire de la sortie d'un livre un véritable événement.
L'apparition de la télévision favorisera la naissance des émissions littéraires dans les années 1970 ("Apostrophes", "The Oprah Winfrey Show"), véritables prescriptrices de livres dont l'influence permit la mise en avant de certains ouvrages.
Sans parler de la fameuse rentrée littéraire, phénomène typiquement français...
Et l'auteur de conclure :
" Désormais, c'est sur d'autres écrans, ceux des ordinateurs et des portables, que fleurissent les nouveaux prescripteurs, twitteurs, blogueurs et autres, infiniment plus éparpillés mais pas moins efficaces que les anciens, en ce qu'ils cumulent les prestiges de l'image et l'impact considérable du bouche à oreille..." p.207
Qu'on se le dise :)
La troisième partie de l'ouvrage se veut davantage sociologique, proposant une analyse des motivations entraînant les lecteurs à la découverte d'un best-seller.
Qu'il s'agisse de lectures obligatoires (scolaires, politiques, religieuses) ou de mentions de prix littéraires, les livres hautement plébiscités ne sont bien souvent pas lus mais servent plutôt de décor dans la bibliothèque, témoignant ainsi du bon goût ou du semblant de culture du prétendu lecteur.
J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ces nombreuses anecdotes retraçant les parcours souvent sinueux d'auteurs en quête de succès. Mélange de bonnes surprises et de déconfitures, croisant auteurs et époques, "Une histoire des best-sellers" s'avère être un ouvrage extrêmement fouillé, proposant de nombreuses sources ainsi qu'un index des auteurs et ouvrages cités.
Si vous souhaitez connaître l'histoire cachée de vos romans favoris ou ajouter quelques auteurs inconnus à votre liste, je vous recommande vivement cet essai qui, pour ne rien gâcher, ne se cache pas de certaines pointes d'humour qui ne furent pas pour me déplaire.
" Dan Brown, l'un des plus gros producteurs de best-sellers vivants, a parfaitement compris le mécanisme. Le genre qu'il affectionne est certes un peu différent de celui de Barbara Cartland - et ses prétentions, littéraires et autres, nettement plus affirmées.
Pourtant, là encore, il suffit d'en lire un pour connaître les autres, tant la trame est invariable.
Chaque fois, l'homme admirable, le super-gentil, Strathmore dans Forteresse Digitale (1998), le père Ventresca dans Anges et Démons (2000), Sir Leigh Teabing dans Da Vinci Code, se révèle être, ainsi qu'on l'apprend après mille coups de théâtre vers la fin du livre, le super-méchant en personne, l'incarnation du mal, lequel a généralement engagé un tueur monstrueux (tireur sourd, Arabe sadique ou moine albinos) pour réaliser ses épouvantables desseins.
Face à lui, un brillant universitaire américain, sportif et polyglotte, accompagné d'une créature supérieurement intelligente et terriblement sexy, vont réussir à sauver le monde, non sans faire profiter le lecteur de quelques visites touristiques choisies - Paris, l'Espagne, l'Italie -, et divulguer au passage quelque fabuleux secret caché depuis la nuit des temps, ou presque - sur les dessous du Vatican, le vrai visage de l'Opus Dei ou la descendance du Christ et de Marie-Madeleine.
Chaque ouvrage s'achève, rituellement, par un happy end total, la victoire du bien sur le mal, la mort atroce et bien méritée des méchants, et une fabuleuse partie de jambes en l'air - simplement évoquée, sans entrer dans des détails superflus, public puritain oblige." p.107
A propos d'"Indignez-vous" de Stéphane Hessel :
" Et voilà pourquoi, enseigne le sage, on doit ré-apprendre à s'indigner : à se rebeller - et à retrouver ainsi les leçons de la Résistance, dont l'indignation, dit-il, était "le motif de base". A l'inverse, l'indifférence est "la pire des attitudes" (on notera l'audace de la remarque).
C'est en s'indignant que l'on rejoint " le grand courant de l'histoire", qui "doit se poursuivre grâce à chacun", grâce à "l'insurrection pacifique" qu'Hessel appelle de ses voeux avant de conclure son texte par une formule imprimée en capitales, si puérile qu'on la croirait empruntée au graphiste Ben : "Créer, c'est résister. Résister, c'est créer." " p.276
MERCI à de m'avoir offert ce livre !