Publié en 1964 et réédité en 2009, "Toxique" est, comme son titre le laisse deviner, le journal tenu par Françoise Sagan lors d'une cure de désintoxication.
En 1957, l'écrivaine alors âgée de 22 ans a le vent en poupe. Ses deux premiers romans, "Bonjour Tristesse" et "Un certain sourire", connaissent un succès retentissant.
Mais un tragique événement vient noircir ce joli tableau. Victime d'un grave accident de voiture qui la force à rester alitée durant plusieurs mois, Françoise Sagan a recours au Palfium 875, un dérivé de la morphine administré par les médecins pour diminuer les douleurs.
L'accoutumance au produit est telle que l'écrivaine est transférée dans une clinique de désintoxication où elle séjournera une semaine, le temps de rédiger ce journal.
Françoise Sagan avait seulement 22 ans lorsqu'elle rédigea ce journal. Savait-elle déjà, à ce moment-là, que sa dépendance à la drogue la poursuivrait toute sa vie?
Une chose est sûre, la femme qui tient ce journal a peur. Peur d'elle-même, peur de ne pas pouvoir tenir le coup, peur de la solitude.
" Mais il me semble que, désormais, mes seuls rapports heureux avec moi-même, en dehors des autres êtres et des quelques moments d'exaltation ou de bien-être physique que la nature procure, ne pourront être que littéraires.
Ainsi donc les écrivains tomberaient dans le même piège que les comptables, les industriels et autres abrutis de travail.
Pour se retrouver plus tard en proie à quelle solitude inactive : ça donne le frisson.
Je comprends que M. et autres s'obstinent à bégayer dans les revues de tourisme.
Car enfin, quand on a plus personne à embrasser, et que la solitude équivaut à un travail que personne ne vous demande plus, la vie doit être triste."
Durant une semaine, elle déambule dans les couloirs de la clinique à l'image d'un animal en cage, regrettant sa liberté passée.
Elle sait que les nuits parisiennes, l'alcool, la drogue, les excès de vitesse lui sont aussi nécessaires que dangereux. Avait-elle besoin de se sentir au plus près de la mort, de se mettre constamment en danger pour pouvoir apprécier la vie?
Pour échapper à l'ennui comme à cette sensation prégnante d'étouffement, elle lit Apollinaire, Céline, Chateaubriand, Rimbaud, Proust, Michelet.
En proie aux insomnies comme au manque de concentration induits par le manque, elle détaille la nature, les autres patients et s'observe à travers eux.
" Je m'épie : je suis une bête qui épie une autre bête, au fond de moi."
"Toxique" n'est pas vraiment ce qu'on pourrait appeler un ouvrage exhaustif sur les affres de la dépendance mais il apparaît surtout comme un témoignage qui permet de mieux saisir la personnalité torturée de Françoise Sagan et l'univers tumultueux dans lequel s'inscrivent à la fois sa vie et son oeuvre.
A la fois fragile, déraisonnable mais extrêmement lucide, Sagan ne tient pas en place. Si chacune de ses pensées se veut concise, s'envolant rapidement pour céder la place à une autre, les illustrations de Bernard Buffet caractérisées par un trait de crayon appuyé et des formes rudes ajoutent à la détresse de cette femme confrontée à elle-même.
Eh bien, c'est très bien. C'est ce qui m'intéresse. Je m'en vais écrire une nouvelle. L'ennui, c'est qu'à la seule idée "d'entreprise"mon coeur se contracte. Il pleut. " Ah que la vie est lente et que l'espérance est violente." Ah qu'Apollinaire est beau. Ah que je m'ennuie. S'enfuir? Peut-être.
Je viens de me surprendre allongée à demi sur ma chaise, les bras derrière la tête, la cigarette pensive, dans la position désinvolte de l'écrivain en bonne santé réfléchissant (à) (sur) ses dernières lignes.
Première position "à l'aise" sans doute depuis que je suis dans cette chambre où toutes mes attitudes sont de fuite, ou bien, sur mon lit, de refuge.
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