Publié aux USA en 2003 et traduit en français l'année suivante, "La foi d'un écrivain" est un essai autobiographique de la romancière américaine Joyce Carol Oates, notamment auteure des romans "Délicieuses pourritures", "Viol, une histoire d'amour", "Premier amour" , "Reflets en eau trouble" ou plus récemment du recueil de nouvelles "Le Musée du Dr Moses".
" (...) Plus nous sommes blessés, plus nous cherchons un réconfort dans l'imagination. Ironie de la chose, plus nous créons - et publions - d'oeuvres d'imagination dans cette solitude, plus nous courons le risque d'être blessés par les réactions des critiques et du public; et donc, de nouveau, nous nous réfugions dans l'imagination, ce qui nous assure d'être de nouveau blessés. Etrange cycle." p.142
"La foi d'un écrivain" pourrait s'apparenter à une profession de foi sur le métier d'écrivain bien qu'il ne comporte que quelques lignes directrices, l'auteure confessant que sa réflexion sur l'écriture et le statut de l'écrivain reste en mouvance et "non dogmatique".
Joyce Carol Oates évoque substantiellement son enfance, sa découverte d'"Alice au Pays des Merveilles" et de "De l'autre côté du miroir", deux ouvrages qui tiennent encore une place de choix dans sa vie de lectrice, et sa rencontre avec la poésie (Frost, Yeats, Whitman, Dickinson,...).
Dans le chapitre intitulé "A un jeune écrivain", elle prodigue aux jeunes plumes plusieurs conseils aussi stimulants que sensés : s'abandonner sans réserve à leur sujet, laisser leurs émotions imprégner leur art, lire beaucoup, seulement ce qu'ils aiment, destiner leurs écrits à leur génération et se laisser influencer par leurs aînés, non pour les copier mais pour tirer les leçons de leurs erreurs.
L'auteure dédie également un chapitre à la course à pied, un moyen indispensable pour elle de recréer un univers et de cultiver son imagination en s'abandonnant aux paysages et individus croisés. Elle illustre d'ailleurs son propos par plusieurs exemples d'écrivains "en mouvement".
" Les histoires nous viennent sous la forme d'apparitions qu'il est nécessaire d'incarner avec précision. La course à pied semble m'accorder, dans l'idéal, un champ de conscience élargie grâce auquel je peux voir ce que j'écris comme un film ou un rêve; j'invente rarement assise devant ma machine écrire, je me remémore ce que j'ai éprouvé; je ne me sers pas d'un traitement de texte, mais écris à la main, très longuement. (Une fois encore, je sais : les écrivains sont fous).
Le temps que j'en arrive à taper mon texte à la machine dans les formes, je l'ai vu en imagination à plusieurs reprises. Pour moi, écrire n'a jamais été arranger des mots sur une page mais tenter d'incarner une vision; un ensemble d'émotions; des expériences brutes.
Ce que s'efforce de faire une oeuvre d'art dont on se souvient, c'est de susciter chez le lecteur ou le spectateur des émotions à la mesure de cet effort.
Courir est une méditation; de façon plus pratique, la course me permet de faire défiler dans mon esprit les pages que je viens d'écrire, d'y chercher les erreurs et les améliorations à apporter." p.43
Dans les chapitres suivants et au travers d'exemples et d'extraits d'oeuvres, Oates analyse le rapport ambivalent à l'échec, à l'inspiration, à la lecture, à l'autocritique pour la personne de l'écrivain et conclut son essai sur un chapitre plus personnel consacré à l'espace dédié à son art, son bureau qui lui sert principalement à "accoucher" de ses romans (l'essentiel du travail créatif se déroulant durant ses séances de jogging ou ses trajets divers).
Bien que cette lecture ait suscité mon intérêt de bout en bout, j'en ressors quand même un brin déçue.
Si je ne m'attendais pas à un énième livre de recettes miraculeuses pour devenir un écrivain talentueux (que je n'aurais d'ailleurs pas acheté), je pensais néanmoins en apprendre davantage sur le quotidien de cette romancière, sur sa façon de travailler ses romans, sur son expérience des débuts, les obstacles rencontrés,...
Et surtout, j'espérais trouver dans cet ouvrage la réponse à la question qui me taraude depuis un bon moment : mais comment fait-elle pour rédiger autant de romans sous différents pseudos ?
Je dois reconnaître que la thèse des nègres s'impose de plus en plus...
Or, celle que j'ai surtout appris à connaître dans cet essai, c'est la prof de Princeton, la théoricienne de la littérature qui à sa propre expérience préfère largement celles de grands auteurs admirés.
Bien sûr cette humilité honore l'auteure et l'on pourrait dire que Oates, à travers son choix des auteurs évoqués et son regard personnel sur certaines oeuvres, se livre ici de façon indirecte en nous dévoilant ses influences.
Mais malgré tout, j'ai été très embêtée en découvrant des analyses d'oeuvres que je n'avais pas lues (ce qui, vous en conviendrez, est plutôt frustrant) et j'ai déploré que cet essai souffre d'une trop grande mise à distance (lorsqu'elle évoque la personne de l'écrivain, parfois j'ai vraiment eu l'impression qu'elle parlait de quelqu'un d'extérieur à elle).
Une lecture que je ne regrette pas mais dont j'attendais un propos moins théorique.
Pour ceux/celles qui s'intéressent de près à l'auteure, voici les prochaines parutions annoncées en français.
Paraîtra chez Philippe Rey le 4 octobre 2012
Paraîtra chez Tristram le 4 octobre 2012
Paraîtra chez Philippe Rey le 4 octobre 2012
ainsi que "J'ai réussi à rester en vie" (pas encore de couverture) - Paraîtront tous deux chez Points le 18 octobre 2012