31 mars 2012

La Femme du monstre - Jacques Expert


Publié en 2007, "La Femme du monstre" est le premier roman du journaliste français Jacques Expert, également auteur de "La Théorie des Six" et de " Ce soir je vais tuer l'assassin de mon fils".

Un samedi matin, Madame Darget ouvre sa porte au brigadier-chef venu interroger son mari à propos de la disparition d'une fillette.
Deux ans plus tard, Simon Darget comparaît au tribunal pour attentats à la pudeur, viol avec violence, tortures et actes de barbarie et homicide volontaire avec préméditation.
Sa femme, à présent redevenue Madame Delecourt, raconte le déroulement du procès et témoigne de ce que fut leur vie de couple durant 16 années.

J'ai reçu ce livre lors d'un passage en librairie alors que la libraire ajoutait à mes achats 2 livres cadeaux choisis au hasard. J'aurais préféré qu'elle me demande mon avis mais en découvrant ce titre à la maison, je me suis dit pourquoi pas !
Je dois dire que ce livre m'a plutôt déconcertée par rapport à l'idée que je m'en étais fait au départ.
Alors que je m'attendais à découvrir le récit d'une épouse bouleversée, victime naïve d'un homme à l'abri de tout soupçon, je me suis retrouvée face à une épouse humiliée au quotidien par un mari colérique et cruel mais surtout une femme méchante, raciste, matérialiste et pas forcément droite dans ses bottes, comme si son mari avait réussi à déteindre sur elle.
Malgré l'autorité et le manque de respect de cet homme dès les premiers jours de leur rencontre, elle lui passe tout par amour, trop contente de s'être attirée les faveurs de cet homme beau et brillant que les autres femmes lui envient tant.
Pendant toutes ces années, elle s'accrochera à un rêve de famille parfaite, fermant les yeux sur les accès de colère, les absences et les infidélités répétées de son mari, les nombreuses accusations d'harcèlement sexuel qui les forcent à déménager tous les ans, les viols et meurtres perpétrés dans leur région et les preuves formelles à peine dissimulées par son mari.

On pourrait s'attacher à cette femme et à son aveuglement volontaire sauf que c'est tout le contraire.
Dans les chapitres consacrés au procès, elle joue l'épouse choquée mais lorsqu'elle détaille sa vie conjugale, c'est une toute autre histoire qui se joue devant nous.
Madame Delecourt apparaît comme une femme vulgaire sur bien des aspects. Hypocrite, elle participe à des collectes de vêtements envoyés en Afrique mais se plaint que les "nègres" envahissent la France. Futile, elle ne s'intéresse qu'à la décoration et s'attache à mentionner la valeur des objets dans sa maison, ne regarde les infos que pour apercevoir la tenue de Claire Chazal qu'elle admire tant. Elle suit Patrick Sébastien et "Plus belle la vie" mais trouve Ardisson vulgaire.
Elle se plaint du manque de respect des gens mais par contre les "ferme-la salope" de son mari passent très bien (sa violence aussi, qu'elle n'hésite pas à stimuler quand ça l'arrange)...
Quant aux victimes, elles n'avaient qu'à pas aguicher son mari avec leurs tenues scandaleuses, qu'elles ne s'étonnent pas après. De toute façon pour cette femme, toutes les autres sont des putes.
Même lorsqu'elle plaint les parents de la victime au procès, on n'y croit pas. L'ambivalence de son discours trahit très vite un simple souci du qu'en dira-t-on, du moment qu'elle réhabilite son image de femme respectable. Extrême, elle passe de l'amour absolu pour son mari au mépris le plus total, indifférente au sort que lui réserve la prison.
Cette femme avait toutes les cartes en mains pour pouvoir arrêter son mari mais a choisi de ne rien voir.
A moins d'avoir connu une situation similaire, je ne pense pas que quiconque puisse comprendre une femme pareille.

Le style de ce roman n'a rien d'exceptionnel mais colle toutefois parfaitement à la personnalité exécrable de la narratrice dont certains traits caricaturaux hantent régulièrement la rubrique des faits divers comme nous le rappelle d'ailleurs le titre racoleur de ce roman.
Il semble presque indécent de prétendre avoir aimé ce roman mais je dois reconnaître l'avoir trouvé fort réussi dans son genre tant je me suis insurgée contre le mode de pensée de cette femme.

" Ah ! ces derniers mots ! Je les ai si bien travaillés ces dernières semaines, tant répétés, que je les prononce sans rien oublier. C'est ainsi que je mets fin à deux heures et demie environ d'interrogatoire (cette fois, bêtement, j'ai oublié de mettre en route la trotteuse de ma montre pour avoir un minutage précis) parfois tendu, souvent émouvant à évoquer nos seize années de vie commune.
J'ai beaucoup pleuré mais, pour ces mots finals, je n'ai plus de larmes, ni même l'envie d'en verser.
Je termine avec le sentiment presque jouissif d'avoir conquis la salle. J'ai déjà hâte d'être à ce soir pour voir le compte rendu du procès dans le journal de PPDA.
Je ne doute pas que mon témoignage si puissant y sera relaté comme l''événement de la journée, à l'inverse de ce pauvre Simon qui a été pitoyable une fois de plus.
J'en viendrais presque à me demander comment j'ai pu être mariée à un pareil minable.
Les journalistes auront sans doute noté qu'il a à peine osé relever la tête et qu'il a répondu aux rares questions par de pathétiques mono-syllabes." p.103
D'autres avis : Canel - Alex - Yv - Pimprenelle

28 mars 2012

Tout ce que nous aurions pu être toi et moi si nous n'étions pas toi et moi - Albert Espinosa


"Tout ce que nous aurions pu être toi et moi si nous n'étions pas toi et moi" est le premier roman de l'écrivain espagnol Albert Espinosa. Il paraîtra en librairie dès le 11 avril.

Marcos attend la dose de Cétamine qui devrait lui permettre de se passer de sommeil pour le restant de ses jours. Profondément bouleversé par la mort de sa mère, cette seule dose l'empêcherait de rêver d'elle et de prolonger chaque nuit la douleur de sa perte.
Sur le point de s'injecter le produit, il aperçoit au milieu de la place voisine une femme qui exerce sur lui une évidente attraction, sentiment qui lui était jusque là inconnu.
Alors qu'il s'apprête à aller à sa rencontre, son chef l'appelle pour lui demander de le rejoindre d'urgence afin d'utiliser son don sur un extraterrestre.
Marcos tente de lire en lui mais se heurte à un mur. Se pourrait-il que cet étranger possède comme lui ce pouvoir de ressentir les souvenirs des autres ? Que peut-il donc lui apprendre sur cette femme qui a choisi de le suivre ?

Je pense qu'à la lecture du résumé, vous aurez compris que ce livre n'est pas vraiment banal.
Marcos est un curieux personnage dont on ne sait pas grand chose si ce n'est que sa mère a eu une importance capitale dans sa vie.
Tous deux ont parcouru le monde ensemble au gré des spectacles de danse mis en scène par sa mère. Leur relation était fusionnelle et marquée par la personnalité forte de cette femme qui, telle un mentor, encourageait son fils à tendre l'oreille, à observer attentivement le monde et les êtres autour de lui.
Une femme qui possédait ses théories sur tout et abordait sans tabou le sujet de l'amour et du "moi sexuel".
Le décès de cette femme indispensable lui a fait perdre ses repères tant il se définissait à travers elle.
Tout au long du récit, des souvenirs communs se rappellent à lui. Il se remémore ses propos qui résonnent telles des injonctions l'ayant toujours accompagné, voire même façonné.
Cet homme qui semble mort en même temps que sa mère sera sauvé par cette double rencontre avec l'étranger et cette mystérieuse femme qui, chacun à leur manière, lui apprendront qu'il existe un "après", d'autres possibilités qui s'offrent à lui dont il n'avait jusque là pas conscience.

L'ambiance qui règne dans ce roman est particulière, un brin fantastique, comme hors du temps. La référence à Murakami dans le résumé est judicieuse tant on a l'impression de se retrouver dans un Madrid où la vie continue de s'écouler à 3h du matin , une sorte d'univers parallèle au temps suspendu.
Cette référence vaut également pour cette écriture sensorielle qui accompagne les pensées intérieures et les souvenirs de Marcos.
J'ai également pensé à du Van Cauwelaert pour le côté mystique et au "Petit Prince" de Saint-Exupéry pour le caractère initiatique de ce roman.

Pour vraiment apprécier cette histoire, il faut pouvoir laisser de côté son esprit cartésien, rentrer dans le jeu et se laisser séduire par la théorie fantaisiste énoncée dans ce roman, chose que je n'ai pas réussi à faire.
J'ai également eu un certain mal à m'attacher à ce personnage fade qu'est Marcos. Entre les théories envahissantes de sa mère et ce don qui lui permet de sonder les souvenirs des autres, j'ai eu l'impression que cet homme ne vivait que par procuration, sans existence propre.
Il est des livres qui ne sont tous simplement pas faits pour nous.

Je remercie néanmoins Laetitia Joubert et les de m'avoir offert ce livre !

25 mars 2012

Le carnet Moleskine - Johanna Assand


"Le carnet Moleskine" est un roman de l'écrivaine française Johanna Assand, également auteure de "Renaissance à l'italienne". Il paraîtra en librairie le 12 avril prochain.

Julie éprouve toutes les peines du monde à se remettre de la mort de ses parents, décédés dans un accident de voiture.
Alors qu'elle entreprend de vider la maison familiale, elle tombe sur la série de carnets tenus par sa mère romancière pour constater qu'il en manque un, le seul de couleur rouge.
Pourquoi ce carnet reste-t-il introuvable ? Après avoir découvert une correspondance étalée sur plusieurs années entre sa mère et un mystérieux inconnu, Julie est bien décidée à retrouver le fameux carnet rouge.

J'ai reçu ce roman sous forme d'épreuves non-corrigées, indication qui a pris tout son sens à mesure que je tournais les pages.
Le résumé annonçait pourtant le genre d'histoires qui me plaît, de celles qui distillent des secrets familiaux longtemps enfouis et révèlent des personnalités plus complexes et plus riches qu'il n'y paraît.
Si en plus, le récit s'agrémente de la présence d'un journal ou de lettres, j'ai généralement toutes les chances d'être conquise.
Hélas, ce roman est loin d'avoir fait mon bonheur.
Très vite, j'ai été agacée par un rythme très lent et, arrivée à la page 31, un sens plutôt maladroit de la concordance des temps.

" J'aurais aimé qu'elle s'en aille. Mais lui résister n'est pas la meilleure solution pour obtenir ce que l'on souhaite. Je passerai une heure avec ma grand-mère. Je la rassurerai sur l'état de ma santé mentale et elle s'en irait. Une fois le thé avalé, elle est toujours là."

Autre obstacle à la page 46, lorsque Julie lit un extrait du journal de sa mère dans lequel celle-ci évoque sa conversation avec un ami intime. Alors que tous deux sont censés bien se connaître, il lui indique le métier de son épouse.

" Je veux que tu saches que ton mari et ma femme ont eu une liaison qui a duré un an et demi. C'est terminé depuis un an. Elle est partie pour un homme plus jeune qu'elle, banquier comme elle. N'en parle pas. Cela risque de ternir la réputation d'Evelyne, directrice à la Banque R."

Idem page 56 dans une lettre adressée par son grand-oncle à sa mère.

" Le destinataire de la lettre :
Monsieur Abraham Bessan, mon très cher frère bien aimé
Et sa chère femme, ma belle-soeur Ethel Bessan
Et sa très proche famille
Mes nièces bien-aimées, Gabrielle Bessan, diplômée en communication et Raphaëlle Bessan"

Mais que viennent faire ces mentions de profession à des moments pareils du récit ?
Page 52, je découvre qu'Eric Clapton chante "Lady in red". Heu...non c'est pas lui.
La suite ne fut qu'un défilé de vérités toutes faites balancées d'une même voix par les différents personnages, comme empruntées à des ouvrages de développement personnel.

" Je n'ai pas de goût pour la satisfaction immédiate de mes désirs comme certains. J'ai besoin de réfléchir, de mûrir les événements, de retrouver ma solitude, de m'accorder le temps de grandir.
Pour cela, il faut aller au gré de sa propre temporalité et ne plus se perdre dans le leurre de l'immédiateté qui donne la sensation d'exister mais qui ne permet pas de parvenir à l'élaboration psychique et à la connaissance de soi." p.100

Ceci ne représente qu'un extrait mais tout le roman s'avère du même acabit, souffrant d'un manque de naturel qui ne fait que plomber davantage une histoire lisse et cousue de fils blancs.
Car si Julie cherche à percer les secrets de ses parents, elle passe surtout le plus clair de son temps à se demander ce qu'elle en fera le moment venu.
Heureusement, la philosophie du carpe diem déclinée maintes fois finit par avoir gain de cause et tout le monde est heureux (voir à cet effet l'épilogue en 20 lignes).

Un roman léger dans le fond, lourd dans la forme que, pour ma part, je ne vous conseille donc pas.
Je ne sais ce qui au final me choque le plus entre la qualité douteuse de ce roman et la note de satisfaction étonnamment élevée qu'il a pu récolter auprès du jury des lecteurs.
Si je ne souhaite insulter personne, j'ai quant à moi eu l'impression d'être prise pour une idiote.


Je remercie néanmoins Caroline Duffaud et les éditions de m'avoir offert ce livre.

22 mars 2012

Lettre à Zohra D. - Danielle Michel-Chich


En librairie depuis le 4 février dernier, "Lettre à Zohra D." est un récit épistolaire de l'écrivaine algérienne Danielle Michel-Chich, également auteure des romans " Déracinés, Les Pieds Noirs aujourd'hui ", " Viens chez moi, j'habite chez mes enfants " et " Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs ".

Le 30 septembre 1956 en plein centre d'Alger, l'auteure alors âgée de 5 ans est attablée à la terrasse du Milk Bar en compagnie de sa grand-mère pour y déguster la dernière glace avant la rentrée des classes.
C'est en cet endroit précis, bondé en cette période de l'année, que Zohra Drif, jeune militante affiliée au "Réseau Bombes" luttant pour l'indépendance de l'Algérie, choisira de déposer une bombe.
Ce jour-là, la petite Dany perd sa grand-mère ainsi que sa jambe gauche. Commence alors une sombre période plombée par le chagrin et les non-dits.
Jamais il ne sera question de Zohra D. jusqu'au jour où, à plus de 60 ans, Danielle Michel-Chich décide de prendre la plume pour faire entendre cette voix trop longtemps enfouie en elle.

"Le déni n'est pas forcément ce fléau implacable que l'on nous fait croire. Mon état, mon avenir ne me tourmentaient pas.
Si l'on faisait comme si rien ne s'était passé, c'est que rien de grave ne s'était passé. Et si on n'en parlait pas, alors c'est que c'était comme ça parce que c'était comme ça. Dont acte.
Je ne romps ce silence, dans une initiative audacieuse de désobéissance à la règle familiale, qu'aujourd'hui, Madame, en vous écrivant." p.28

Je lis très peu de récits de vie pour la simple raison que ce genre d'écrit pas forcément très objectif a tendance à placer le lecteur en situation de voyeur, position qui me met plutôt mal à l'aise.
Je suis ravie d'avoir mis mes a priori de côté le temps de cette lecture car j'y ai découvert une femme très digne, que ce soit dans sa façon de gérer sa vie malgré ce qu'il lui est arrivé ou dans le choix de cette narration au style direct mais jamais haineux.
Bien sûr cette longue lettre s'adresse avant tout à Zohra Drif, nommée "Madame", marque de respect qui étonne au premier abord mais montre bien à quel point l'auteure a pris le temps de la réflexion.
Durant des années, Danielle Michel-Chich a vécu dans un carcan familial plongé dans le mutisme, se montrant docile, évitant les questions pour ne pas raviver la douleur.
Avide de connaissances, elle se plonge dans les livres et les études, profitant de ses séjours à l'étranger pour se tenir éloignée d'une famille qu'elle aime mais qu'elle sait morte depuis l'attentat.
Toutefois jamais il ne sera question d'Histoire ni de connaître l'identité de la poseuse de bombes.
C'est seulement lorsqu'elle débute cette lettre que lui viennent les premières interrogations sur Zohra Drif auxquelles succèdent la déception et les premiers pleurs car le portrait de la jeune révolutionnaire vole en éclats à mesure que l'auteure satisfait sa curiosité et fait face à la réalité.
"Lettre à Zohra D." est une déclaration de femme à femme, d'égale à égale. Jamais je n'ai eu l'impression d'une victime s'adressant à son bourreau tant le propos se veut intelligent, raisonné, humaniste.

" Mais j'ai adopté cette histoire un peu comme on adopte un enfant : dès la première heure, sans conditions, dans un élan naturel. Puis j'en ai apprivoisé les contours, jour après jour.
Et nous nous sommes acceptées l'une l'autre, nous avons grandi ensemble, avec les ajustements incontournables et tous les petits arrangements au quotidien.
Et, toujours, avec ce souci de ne pas me laisser réduire à ce que cette histoire a fait de moi. Vous ne m'aurez pas ainsi, Madame !" p.83


MERCI à Christian Sauvage et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

17 mars 2012

Le ventre de la fée - Alice Ferney


Publié en 1993, "Le ventre de la fée" est le premier roman de l'écrivaine française Alice Ferney, notamment auteure de "L'élégance des veuves", "La conversation amoureuse", "Paradis conjugal" ou plus récemment de "Passé sous silence".

"Le ventre de la fée" commence tel un conte : la fée, nymphe magnifique, délicate, gracieuse, rencontre un homme ébloui par ses charmes qui l'aime, la désire et la vénère chaque jour avec la même intensité.
Entourés d'un halo de sérénité, ils s'aiment avec insouciance et bientôt la fée met au monde un petit ange du nom de Gabriel, unique enfant qu'elle couvrira de tout son amour de mère.
Mais toute la tendresse de la fée ne suffira pas à calmer le monstre qui grandit dans le corps de son fils.
D'un naturel taciturne et cruel, Gabriel confectionne des boîtes morbides destinées à enfermer les petits corps de ses proies animales.
Au décès de la fée, son mari ne supportant plus de vivre sous ce toit qui abritait leur amour, quitte la maison, laissant Gabriel à lui-même et à ses pulsions malsaines tandis qu'il pleure sur l'abandon de cette mère parfaite.
Le jeune homme écume la ville à la recherche de proies humaines toujours plus jeunes qu'il viole, assassine, dépece, possédant ces corps par la force sans jamais être rassasié ou assailli par le remords.
" Il avait l'impression que c'était le premier véritable viol, et ce qui l'étonnait c'était de vivre cette dérive sans lui prêter aucune gravité. Si incroyable que cela puisse paraître, il avait autrefois retenu des envies dont l'assouvissement le remplissait maintenant d'indulgence.
Il comprit que le plaisir était capable d'étouffer jusqu'aux regrets. Car c'était un plaisir immense, une jubilation du corps qui s'allégeait un instant de toute forme de conscience.
Dans le combat contre le corps de l'autre, lorsqu'il était entré dans le corps de l'autre, lorsqu'il avait refermé ses mains sur la chair de l'autre, et que ses ongles avaient crevé la peau en même temps qu'il crevait de plaisir, il avait oublié.
Oublié ce qu'il y a de plus horrible dans la vie, son déroulement de ruban insensible.
Pour lui désormais c'était clair : son désir assouvi était revenu plus vigoureux, si pressant qu'il faudrait bien recommencer, qu'il était impossible d'imaginer lui résister.
Il ne résisterait pas : la même crise, la même jouissance, il y pensait sans cesse. Il savait qu'il recommencerait, bientôt, demain peut-être, parce qu'il ne contrôlait plus rien de corps baigné une fois dans la violence." p.85

Voilà un conte macabre plutôt déconcertant tant le contraste se veut aussi brutal qu'improbable entre la pureté et l'amour sans bornes de la fée et la violence inouïe de cet insatiable monstre enfanté par elle, comme sorti de la bouche des Enfers. Le cauchemar de toutes les mères !
Et le contraste perdure malgré l'horreur décrite car l'écriture reste égale à elle-même (et c'est d'autant plus perturbant), lumineuse, poétique, fascinante de précision.

Une lecture "horriblement troublante" qui à plusieurs égards m'a beaucoup rappelé "Le parfum" de Suskind.

L'avis de Liliba

15 mars 2012

Désaccords imparfaits - Jonathan Coe


En librairie depuis le 8 mars, "Désaccords imparfaits" est un recueil de 4 textes rédigés entre 1995 et 2005 et signés du romancier britannique Jonathan Coe, notamment auteur de "La pluie, avant qu'elle tombe", "Testament à l'anglaise" ou plus récemment de "La vie très privée de Mr Sim".

Dans l'introduction, Jonathan Coe affirme sa préférence pour le roman, la nouvelle ne représentant pour lui qu'une étape transitoire généralement vouée à cheminer vers un texte plus dense.
Les 4 textes présentés ici font donc figure d'exception.
Dans "Ivy et ses bêtises", un homme replonge dans ses souvenirs après s'être recueilli avec sa soeur sur la tombe de leurs grands-parents.
Sa mémoire le ramène à l'époque où sa grand-mère avait été désignée juré dans une affaire d'homicide conjugal. Il se rappelle encore trait pour trait le visage de cet homme assassiné dont il craignait la vengeance.
"9e et 13e" évoque la suite imaginaire d'une rencontre entre une femme et un pianiste jouant sans cesse les mêmes accords.
Dans "Version originale", un compositeur de musiques de film fait partie du jury du 14ème Festival du film d'horreur et de fantasy.
Alors qu'il examine le programme du lendemain, un nom se détache de la liste, Gertrud Keller, scénariste et maîtresse éconduite.
En découvrant le film, il comprend qu'il assiste là à une projection de sa propre vie.
Hommage à Billy Wilder et à son film "La vie privée de Sherlock Holmes", "Journal d'une obsession" retrace étape après étape la recherche artistique de toute une vie.

"Désaccords imparfaits" sonne comme autant de variations sur ces moments phares, ces rencontres réelles ou imaginaires, ces occasions manquées, ces obsessions qui façonnent l'existence et la poursuivent sans fin.
Coe examine ses personnages, y compris lui-même, à travers le prisme de leurs souvenirs. Un seul d'entre eux suffit à les définir tout entier, à les révéler à eux-mêmes, non sans une certaine amertume.
Des textes sensibles et intimes lus sans déplaisir mais sans plus d'enthousiasme. J'ai l'impression que ceux-ci se destinent davantage aux lecteurs initiés.
Je compte néanmoins poursuivre ma découverte de Jonathan Coe.

L'avis de Cathulu

13 mars 2012

Barbara, claire de nuit - Jérôme Garcin


Publié en 1999, "Barbara, claire de nuit" est un récit de l'écrivain français Jérôme Garcin à qui l'on doit notamment "La Chute de cheval", "Les soeurs de Prague", ou plus récemment "Olivier" consacré à son jeune frère disparu.

Au fil des interviews réalisés dans le cadre de son métier de journaliste, Jérôme Garcin s'était lié d'amitié avec Barbara durant les 10 dernières années de sa vie.
Il rend ici hommage à l'artiste et à la femme, deux identités qui se confondent indéniablement.
Appuyé par des extraits tirés de bandes-sons d'époque, il dresse le portrait d'une femme toujours complexée, en proie au doute, jamais en paix avec elle-même.
Vive mais d'humeur changeante, sujette au "mal de vivre". Théâtrale mais réservée. Solitaire et insomniaque, effrayée par la lumière et le monde extérieur, détestant être prise en photo, vivant en recluse entre sa ferme de Précy et la scène, s'offrant toute entière à sa seule famille, sa "seule histoire d'amour", le public, préféré aux quelques amants de passage.
Une femme fragile qui sacrifiait tout à son art, préservait sans cesse sa voix pour en offrir le meilleur, quitte à se promener dans les coulisses une clé anglaise à la main pour vérifier que tous les radiateurs étaient bien réglés à 18°C.

L'auteur figure l'être de coeur, la "vigileuse", disponible de jour comme de nuit pour les âmes en détresse, les malades, les prisonniers, les démunis auxquels elle dédiait une ligne téléphonique particulière, distribuant des sacs entiers de préservatifs en tournée au moment où le Sida faisait rage, estimant qu'elle ne pouvait goûter au bonheur en sachant que tant d'autres en étaient privés.

" Je crois bien que je vigile depuis le jour où, dans ma chair, j'ai ressenti l'horreur de l'injustice. C'était au cours des premiers enterrements auxquels j'ai assisté. Or, je voyais des morts riches qui partaient en grande pompe et des morts pauvres qu'on emmenait dans la fosse commune.
Des morts aimés qu'une foule entourait et des morts déjà oubliés que personne n'accompagnait.
C'est ça, l'injustice, la révoltante injustice, celle qui se prolonge même au-delà de la vie." p.137

Jérôme Garcin évoque l'artiste à la voix vibrante dont les textes continuent de trouver écho en nous, de nous accompagner dans des moments de vie cruciaux.

" Car cette voix nous pénètre comme nulle autre, on dirait qu'elle nous vole notre intimité, nous prolonge, nous traduit et brise ce qui, en nous, résistait par bravade, par fierté, à l'aveu, à l'abandon et aux larmes.
Ecrire sur Barbara - elle nous le pardonnera - , c'est écrire sur nous.
L'on connaît ses chansons par coeur et pourtant, chaque fois, elles semblent répondre à ce que nous vivons d'inédit à l'instant précis où on les écoute.
Les mêmes refrains, les mêmes paroles, les mêmes airs d'elle ont consacré, avec la même intensité des bonheurs différents, accompagné en terre, avec le même refrain, des morts successives.
Et quand le disque s'éteint, quand le silence est rendu au silence du vent qui siffle, de la flambée qui crépite, des souvenirs qu'on a réveillés, qu'elle a su déloger, la voix de Barbara continue de chanter." p.14

Son répertoire fait l'effet d'un journal intime qu'elle incarne véritablement sur scène.
Ainsi quand elle chante "Nantes" - texte qu'elle écrivit à la mort de ce père incestueux dont elle n'obtint ni les aveux ni l'ultime adieu - celle que l'on appelait "La dame en noir" est comme transportée ailleurs, à Nantes, si proche et si lointaine à la fois.



J'avais gagné ce livre à l'occasion d'une tombola improvisée par Cécile QD9 lors de notre weekend bruxellois et je peux vous dire que j'ai vraiment eu la main heureuse ce jour-là ! Merci Cécile !
C'est le billet de L'Or du weekend dernier qui m'a rappelé que ce livre figurait encore dans ma PAL. Merci L'Or !

S'il n'est pas difficile de trouver matière à souligner le talent de Barbara, encore fallait-il avoir les mots pour l'exprimer.
"Barbara, claire de nuit" transpire l'admiration à toutes les pages tout en livrant un portrait sans fard, tendre, sentimental, modeste, à l'image de cette artiste de talent que la gloire présente ou posthume désintéressait, pourvu qu'elle conserve l'amour de son public.
Un hommage enveloppant qui continue de vibrer en moi lorsque j'écoute Barbara.

" Toute son intimité, elle la destinait à la scène et à ses disques : elle travaillait déjà à son absence. A être toujours parmi nous quand elle ne serait plus là." p.22

11 mars 2012

Le Briseur d'âmes - Sebastian Fitzek


En librairie depuis le 7 mars, "Le Briseur d'âmes" est le 4ème roman de l'écrivain allemand Sebastian Fitzek, après "Thérapie", "Ne les crois pas !" et "Tu ne te souviendras pas".

Berlin. Dans le cadre d'une expérience, un professeur invite ses élèves à prendre connaissance du dossier médical de Caspar, un homme amnésique qui, quelques années auparavant, avait séjourné dans la clinique psychiatrique de Tenfelsberg.
La veille de Noël, alors qu'une tempête de neige faisait rage dans la région, Caspar ainsi que quelques pensionnaires et membres du personnel soignant avaient été confrontés au Briseur d'âmes, un psychopathe réputé pour laisser ses victimes dans un état léthargique, comme si celles-ci étaient tétanisées, prisonnières de leur propre corps et d'un cauchemar sans fin.
Quelle était l'identité du Briseur d'âmes ? Pourquoi glissait-t-il une devinette dans les mains de ses victimes ? Caspar et les autres ont-ils réussi à lui échapper ?

Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre en commençant ce thriller. En découvrant les premières pages, j'ai été saisie d'effroi par la vision d'une femme enlisée dans une spirale infernale sans issue apparente, comme dans un film d'horreur !
Ensuite j'ai découvert ceci :

" - Sachez que ces faits sont avérés. Je vous ai photocopié un vrai dossier médical. Et l'original, le voici.
Il sortit un livre usagé et le posa sur la table. Son titre : le Briseur d'âmes, en lettres vertes sur fond vert.
Sur la couverture, on distinguait également des silhouettes d'oiseaux noirs planant au-dessus d'une forêt menaçante.
- Méfiez-vous des apparences. Oui, à première vue, on dirait un roman. Mais ce n'est que l'arbre qui cache la forêt. " p.20

Je ne pense pas que les médecins/psys s'amusent en réalité à illustrer les dossiers de leurs patients (j'ai ri nerveusement en les imaginant scrapbooker des polaroïds de victimes ^^) mais passons sur ce détail. La mise en abîme prête en tout cas à sourire, du moins au début.
Les étudiants découvrent ainsi ce fameux cas d'étude, frissonnant et s'interrogeant en même temps que le lecteur.
La découverte du dossier se voit donc de temps à autre interrompue par les questionnements des étudiants, comme nous le signale la pagination.
A partir de là, comment vous dire ? On se retrouve enfermé dans cette clinique avec autant de personnages pas vraiment nets qui pourraient tous être le Briseur d'âmes.
Le récit est construit autour de Caspar qu'on suit dans la fuite comme dans cette quête de la vérité qui le force à sonder son psychisme, lui révélant son passé par bribes, alors qu'il tente avec les autres de comprendre les indices laissés par le Briseur d'âmes (quand ils ne sont pas en train de se suspecter les uns les autres).

Attendez-vous à être manipulés par l'auteur qui prend en plus un malin plaisir à renforcer un rythme déjà soutenu par un décompte des minutes à chaque chapitre ! Bien que n'étant pas sujette à la claustrophobie, je me suis sentie oppressée tout au long de ma lecture, comme si je faisais partie intégrante de cet horrible huis-clos.

" Caspar frissonna à la vue du porte-perfusion situé, tel un serveur muet aux bras ballants, près du lit vide.
Il sentit la vapeur produite par sa propre respiration, puis la suite se déroula comme au ralenti.
Il avait l'impression d'être un observateur extérieur qui feuilletait avec le plus grand intérêt un album photo.
Chaque page comportait une image encore plus terrible que la précédente.
Et le temps que son cerveau se rende compte de l'horreur de la situation, il passait déjà à la page suivante." p.52

En sachant que le mode opératoire mis au point à quelques variantes près par le Briseur d'âmes renvoie à une méthode largement répandue dans le milieu thérapeutique (méthode qui m'a toujours beaucoup effrayée !), autant dire que mes nerfs ont été mis à rude épreuve.

J'ai hâte de découvrir les autres romans de Sebastian Fitzek, particulièrement "Thérapie" dont le personnage de Viktor Larenz est mentionné dans ce roman.


MERCI à Valérie Trahay et aux éditions de m'avoir offert ce livre !

L'avis de Mango

8 mars 2012

L'épopée du perroquet - Kerry Reichs



En librairie depuis le 1er mars, "L'épopée du perroquet" est le premier roman traduit en français de la romancière américaine Kerry Reichs, fille de l'auteure de romans policiers Kathy Reichs.

A 25 ans, Maeve Connelly ne sait pas trop quoi faire de sa vie. Alors qu'elle perd son job de barmaid et que ses parents lui coupent les vivres, elle quitte Charlotte avec son perroquet pour se rendre à Hollywood où elle espère trouver sa voie.
Mais arrivée en Oklahoma, voilà que sa vieille Plymouth Road Runner la lâche, ce qui contraint la jeune femme à revêtir un costume d'âne ou de portable pour pouvoir payer les réparations.
A peine repartie, Maeve n'est pas encore au bout de ses peines puisque les caprices de sa voiture la mènent cette fois à Coin Perdu, une petite ville d'Arizona dont les charmants habitants pourraient bien la décider à rester plus longtemps que prévu...

Lorsque ce roman m'a été proposé, j'ai hésité en raison de cette couverture et de ce résumé à l'aspect léger. Je me suis toutefois laissée tenter par cette promesse d'un "road-movie initiatique et décapant".
A l'évidence j'aurais du me fier à ma première impression...
Dans les premières pages, j'ai découvert une midinette hypocondriaque et accro au shopping au point de se ruiner pour une paire de bottes et de se faire masser au country-club sur le compte de ses parents, autant dire qu'elle ne m'était pas fort sympathique de prime abord.
Mais étant donné que ce roman s'annonçait moins léger qu'il n'y paraît, j'ai poursuit ma route en compagnie de Maeve.
Au fil des chapitres suivants, on découvre que la jeune femme a perdu sa meilleure amie et cache en elle un lourd secret qui l'enjoint à se réfugier dans la course à pieds plutôt que d'affronter le regard des autres et exprimer ses émotions.

J'en arrive au premier bémol de ce roman. A partir du moment où son secret est dévoilé (et là attention ne lisez pas la dédicace au début du livre avant de l'avoir terminé !), Maeve n'en finit plus d'en parler à qui veut. Malgré la gravité du sujet, je n'ai pas aimé sa façon de l'imposer aux autres à tout bout de champ, comme si elle détenait à elle seule le monopole de la souffrance humaine.
Je n'y ai vu qu'un prétexte à rester au centre de l'attention, ce qui s'avère être le cas tout au long du roman.
Bien que clamant sans cesse sa malchance, Maeve réussit toujours par le plus grand des "hasards" à atterrir au bon endroit au bon moment ! Partout où elle va, il y a toujours des âmes charitables et désintéressées prêtes à lui venir en aide en 2 temps 3 mouvements ! Ben voyons...
Et quelle chance d'avoir deviné que son nouveau patron avait justement écrit l'un de ses livres préférés !
Les personnages qui l'entourent sont passablement attachants malgré qu'on ne sache pas grand chose d'eux...
Bien que le roman se fende de quelques répliques amusantes, j'ai trouvé le style globalement creux, à l'image de ce sillon que Maeve tente de dissimuler sur son visage à toutes les pages quand elle n'est pas occupée à "souffler sur sa frange" (le tic d'écriture qui m'a le plus agacée).

" N'aie pas peur de la perte : certains naissent perdus, d'autres arrivent seuls à leur perte, et d'autres subissent la perte qu'on leur impose." p.226

Si encore, j'en avais appris sur les endroits visités par Maeve avant de déboucher à Coin Perdu mais c'est à peine si elle les survole pour prendre sa voiture en photo devant les plaques de ville.
Inutile de continuer, je pense que vous comprendrez que ce roman n'a pas su toucher mon coeur de lectrice...

Je remercie néanmoins Stéphanie Le Foll et les éditions pour l'envoi de ce livre.

L'avis de Keisha