29 mai 2012

Les Imperfectionnistes - Tom Rachman


Publié aux USA en 2010 et traduit en français l'année dernière, "Les Imperfectionnistes" est le premier roman de l'écrivain anglo-canadien Tom Rachman.

"Les Imperfectionnistes" n'est pas moins le récit de l'évolution, étalée sur 50 ans, d'un quotidien international basé à Rome que celui de 11 protagonistes qui assisteront, voire même participeront, à son déclin.
Grattes-papier, correcteur, pigiste, secrétaire de rédaction, directrice des ressources humaines, forment une équipe chapeautée d'une main de fer par une impitoyable rédactrice en chef et son adjoint et dirigée par un directeur de publication complètement incompétent.

Nous faisons ainsi connaissance avec Lloyd, un journaliste fauché et en fin de carrière qui cherche désespérément à se remettre en selle pendant que sa femme fricote en toute liberté avec leur voisin.
Arthur Gopal, assigné à la rubrique nécrologique, fait en sorte d'en faire le moins possible jusqu'à ce qu'un événement tragique déclenche en lui un regain d'ambition.
Journaliste économique, Hardy Benjamin ne compte pourtant pas ses sous lorsqu'il s'agit d'entretenir le nouvel homme de sa vie.
Correcteur infaillible, il s'est donné la crédibilité pour maître-mot et pourtant Herman Cohen s'est laissé aller à une erreur de jugement.
Kathleen Solson a beau ne rien laisser passer chez ses employés, à la maison, elle fait plutôt profil bas, tout comme son adjoint Craig Menzies.
Briguant un poste de pigiste au Caire, Winston Cheung fera les frais de sa naïveté et de son manque d'expérience dans le milieu.
Persuadée qu'une remarque acerbe lui fera prendre la porte le lendemain, Ruby Zaga, secrétaire de rédaction célibataire, se réfugie dans la solitude d'une chambre d'hôtel en attendant son heure.
Pendant ce temps, une fidèle lectrice découvre l'actualité avec plusieurs années de retard tandis que l'héritier du groupe Ott, abandonne momentanément son chien et ses Agatha Christie pour annoncer à tout ce petit monde que le journal vit ses dernières heures.

Les personnages autour duquel s'articule le récit sont tout sauf heureux. Occupant pour la plupart des postes à responsabilité, ils jouent les grandes gueules, pestent sans arrêt sur leurs collègues et n'aspirent qu'à quitter au plus vite l'enfer de la salle de rédaction.
Les masques tombent lorsque le lecteur les retrouve en conjoints, pères de famille, éternels célibataires, autant de rôles dans lesquels ils se révèlent être de piètres acteurs (de vraies loques en fait), coupables de petites lâchetés qui laissent entrevoir leur faiblesse.
A croire que trop absorbés par leur travail, ils n'ont plus d'énergie à consacrer à leur vie privée, à ses relations dysfonctionnelles auxquelles ils se raccrochent vaille que vaille par peur de la solitude.

" Nous sommes cernés de monde au moment de naître et cernés de monde au moment de mourir. C'est entre les deux que nous sommes seuls." p.64

Ce qui pourrait faire penser à un recueil de nouvelles s'avère être un roman polyphonique, récit d'existences solitaires et de relations superficielles entre collègues, mais lequel semble toutefois dénoncer d'une même voix l'incompétence et le manque d'ambition d'une équipe dont on se demande comment elle arrive à faire tourner un journal durant aussi longtemps.
Adieu le journalisme d'investigation. Ici on traîne des pieds lorsqu'il faut se déplacer pour une interview, on utilise des mots qu'on ne comprend pas, on multiplie les bourdes façon "Sadisme Hussein", on reporte ses erreurs sur les autres, on cherche le scoop et pour le reste, on se contente des dépêches.
Aucune ambition, aucune décision, aucune prise de risque. Tous semblent avoir perdu le feu sacré qui, comme nous le rappellent les chapitres intermédiaires, animait autrefois Cyrus Ott, fondateur du journal.

S'agissant des coulisses de la presse écrite, je m'attendais à ce que ce roman aborde davantage les aspects de chacun des métiers évoqués. En ce sens, j'ai donc tout d'abord été déconcertée par ce choix de l'auteur de privilégier la vie privée de ses personnages.
Mais il faut bien admettre que les aspects professionnel et personnel sont ici fortement liés - l'un rejaillissant forcément sur l'autre - et permettent de cerner au mieux les personnalités de chacun, au gré de l'écriture tonique de cet ancien journaliste qui connaît fort bien son sujet.
Des portraits férocement cyniques de personnages en phase descendante, si pitoyables qu'ils en deviennent attachants, annonciateurs de la fin d'une glorieuse époque.
Le milieu de la presse n'en ressort pas grandi, c'est le moins qu'on puisse dire.
Un roman désespérant de vérités.

"- Ah ! le bon vieux temps, soupire-t-elle.
- Qu'est-ce qu'il avait de bon ?
- Il avait de bon qu'on pouvait sortir un quotidien à peu près acceptable avec à peu près cinq pour cent des ressources dont j'ai besoin aujourd'hui." p.126

D'autres avis : Amanda Meyre - Sandrine - Keisha - Emmyne

27 commentaires:

  1. je l'avais déjà repéré chez Keisha !

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  2. Comme tu l'as lu, je me suis régalée avec ce(s) texte(s), délicieusement féroce(s)

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  3. J'attendais avec impatience sa parution en poche, car je ne le trouvais pas en bibliothèque. Donc, aussitôt paru, aussitôt acheté. Mais j'ai été déçue, car (et j'ai vu que tu ne le ressentais pas ainsi) je trouve qu'il ressemble beaucoup plus à un recueil de nouvelles qu'au roman polyphonique annoncé. Du coup, sans nier ses qualités, il ne m'accroche pas plus que cela. Je l'ai laissé en chemin... et toujours pas repris.

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    1. Je ne sais pas à quel niveau tu t'étais arrêtée mais il y a quand même des liens entre certains personnages et les histoires de chacun contribuent à donner une vision d'ensemble et peu reluisante de ce journal sur le déclin.
      J'espère que tu le reprendras un jour ;)

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  4. Un bon souvenir, et je suis ravie qu'il paraisse en poche. Sinon, oui, c'est entre nouvelles et roman polyphonique...

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    1. Oui, ça commence comme un recueil de nouvelles et puis au fur et à mesure, l'auteur dresse des liens entre certains personnages.

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  5. Bizarre, j'ai du mal à déceler combien tu as apprécié ce livre en lisant ta critique.
    Quant à moi, j'ai peur de ne pas être tentée.
    Les romans polyphoniques ne m'appellent pas davantage que les nouvelles, à vrai dire. Surtout quand les voix sont aussi nombreuses. Non, vraiment, je passe mon chemin. Par contre, je me plonge très bientôt dans "Le diner" d'Hermann Koch ! :)

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    1. En fait j'ai aimé mais il est vrai que ce roman est tellement désespérant par endroits...
      Bon vu que je te sais difficile à convaincre, je n'insisterai pas ^^
      Mais je suis d'avance intriguée par ton avis sur "Le dîner" ;)

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  6. C'est donc de cela qu'il s'agit... il faudra que j'en tâte. Merci pour ce billet instructif!

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    1. Ah mais de rien, tente-le, il pourrait bien te plaire ;)

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  7. Il est dans la PAL depuis sa sortie en français! Je l'ai presque choisi hier soir, mais j'ai opté pour "Nous étions les Mulvaney" de Oates!

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    1. Ah je comprends fort bien la tentation de lire du Oates ;)

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  8. Il me tente beaucoup, même si le côté "nouvelles" pourrait me freiner.

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    1. Beaucoup de romans alternent les chapitres pour évoquer plusieurs personnages. C'est le cas ici. Bien sûr, au début on a l'impression de lire des nouvelles mais au bout d'un moment, de petits liens finissent par se tisser :)

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  9. Je l'ai vu en poche et il me tente beaucoup. L'avis de Brize tempère assez sérieusement le tien, mais j'essaierai pour me faire ma propre idée.

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  10. Je n'en avais jamais entendu parler. Le côté nouvelles/roman ne me dérange pas : je note (mais pas pour les jours où j'ai besoin d'optimisme, si j'ai bien compris).

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    1. Je nourrissais déjà une piètre opinion de la presse écrite mais là effectivement cette lecture n'a rien arrangé...

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  11. Ca fait limite peur, ça. J'ai déjà entendu parler de l'auteur mais je ne l'ai encore jamais lu.

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    1. C'est plutôt décourageant oui. Je suis curieuse de savoir si cet auteur écrira d'autres choses par la suite.

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  12. Je n'ai pas très envie de me précipiter s'il fait penser au début à un recueil de nouvelles. Je vais avoir du mal à y entrer vraiment. Passer trop vite d'un récit a tendance à m'agacer.

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    1. Ah il y a décidément beaucoup de réfractaires au genre de la nouvelle ou apparenté :( En fait la forme de ce roman colle parfaitement au thème des relations entre collègues qui se connaissent sans connaître, se croisent dans les couloirs, se frôlent, entretiennent de petits liens entre eux.

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  13. La couverture du livre est sympa mais le sujet et le côté polyphonique eux ne me tentent pas plus que ça!

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  14. Bonne nouvelle que cette sortie en poche. J'avais déjà repéré ce roman à l'époque, je vais pouvoir me l'offrir !

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  15. Je viens de lire ce roman et je l'ai adore ce roman que j'ai trouve tres bien ecrit et tres sensible. un puzzle de personnages un peu mauvais pour un roman tres attachant...

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