25 juin 2014

...à la folie - Sylvain Ricard & James


Publié en 2009, "...à la folie" est un album signé par les français Sylvain Ricard (scénario) et James (illustration).

Ils se sont cherchés du regard durant leurs études avant de s'aimer follement et de se marier dans la foulée. Il travaille dur. Elle reste à la maison. Il gagne assez pour deux.
Tous les matins, elle se lève avant lui, prend garde de ne pas le réveiller, lui prépare son petit déjeuner et le taquine sur ses choix vestimentaires.
Malgré un quotidien réglé comme du papier à musique, une dispute finit par éclater.
Pour trois fois rien et pourtant, la première gifle part. La première d'une longue série.


Le thème de la violence conjugale a déjà si souvent été abordé que j'avais l'impression d'en connaître (théoriquement) tous les rouages.
Or le sujet n'en finit pas de me révolter, me laissant toujours devant cette même interrogation : qu'aurais-je fait à la place de cette femme ?
N'ayant (heureusement) jamais connu pareille situation, la réponse me semble évidente.
Mais ce genre de chose est toujours plus facile à dire qu'à vivre.
Prenons cette femme, éperdument amoureuse d'un mari qui fait sa fierté et autour duquel elle a entièrement construit sa propre vie.
On ne lui connaît pas d'autre activité que de veiller à son bien-être. Quelques visites de sa mère ou de sa meilleure amie. Pas de quoi remplir un quotidien.
Au début, les coups sont visibles. Elle sait au fond d'elle qu'elle est une femme battue et que ce n'est pas normal. Sa mère lui conseille de relativiser et de mieux s'occuper de son mari. Une séparation ? Un divorce ? Ca passera avec le temps. Et puis le mariage c'est pour le meilleur et pour le pire.
De son côté, sa meilleure amie s'inquiète mais elle entre dans un mécanisme de défense, cherchant des excuses à cet homme dont elle apprend à anticiper les réactions pour mieux encaisser les coups.
Il a beaucoup de pression sur les épaules. Il vise une grosse promotion. Ca ira mieux après.
Lui est entièrement tourné vers son travail et son patron dont il s'apprête à prendre la relève. Il se décharge de sa frustration sur sa femme, tout en n'ayant absolument pas conscience de la gravité de la situation. Sa part du récit, égoïste, est d'ailleurs assez édifiante, bien qu'il prétende aimer sa femme.


La force de "...à la folie" réside justement dans ce double point de vue, mettant ainsi en lumière tout ce qui sépare le mari de sa femme. Chacun dans sa bulle si je puis dire.
Un aveuglement de part et d'autre. Alors que lui se fait encourager par son patron à ne pas se laisser marcher sur les pieds, elle entre dans une phase de déni avant de se laisser convaincre par sa meilleure amie de porter plainte contre son mari.
Mettra-t-elle fin à ce dangereux engrenage ?
Certains plans les montrant assis d'un bout à l'autre d'un canapé suggèrent une thérapie de couple.

J'ai eu un peu de mal au départ à apprécier le choix du zoomorphisme qui selon moi traduisait une certaine légèreté (on sait pourtant que ce procédé a fait ses preuves, notamment dans la série "Maus" de Spiegelman).
Or c'est justement cette apparente légèreté qui accentue toute la gravité du récit (hum...j'espère être claire là...).
Le discours est relayé par des illustrations sépias, sobres mais suffisamment explicites.
"...à la folie" nous montre que la violence conjugale ne se résume pas au nombre de coups portés mais participe aussi d'un processus d'enfermement psychologique.
Les victimes, bien souvent livrées à elles-mêmes, se laissent entraîner dans une terrible spirale de violence et de dépendance affective, au point d'en arriver à redéfinir leurs rapports de couple pour anticiper cette violence, au lieu d'y mettre fin.
Certaines parviennent à en sortir. Malheureusement pas toutes.
Un album à lire si le sujet vous intéresse.

Les avis de Choco (Joyeux anniversaire miss !) - Cuné - Sandrine


13ème participation à la bd du mercredi chez Mango

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11 commentaires:

  1. Même en étant femme, on a du mal à comprendre ce genre d'attitude et c'est vrai qu'on pense savoir ce qu'on ferait dans ce cas : ses bagages. Or la réalité est plus complexe, comme le montre si bien cette BD.

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    1. J'ai trouvé le ton très juste : ni trop "clinique" comme l'ont qualifié certains lecteurs, ni trop démonstratif.

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  2. Merci pour cette belle chronique; Je note le titre de cette BD !

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    1. Chouette ! Ca n'arrive pas souvent que je chronique un titre que tu n'as pas encore lu héhé :)

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  3. Un sujet bien grave qui me touche beaucoup également, sans oublier cependant que parfois certains hommes aussi peuvent se dire "battus" ou maltraités mais c'est encore assez tabou.

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    1. Tabou certainement. Comme si cela s'apparentait à un aveu de faiblesse. Enfin la chose est tout de même plus rare chez les hommes (mais je suis d'accord, il faudrait en parler également);

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  4. Deux artistes de talent qui travaillent aussi pour La Revue Dessinée que je te conseille très fortement.

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  5. Repérée chez Cuné, tu confirmes ! Me reste à la trouver !

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  6. J'ai beaucoup aimé cette BD.La psychologie des personnages est bien décrite et ça m'a permis d'en apprendre un peu plus sur ce sujet que je ne connais, heureusement, que d'un point de vue extérieur.

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