Réédité depuis le 2 avril dernier, "Sweet Sixteen" est un roman de la française Annelise Heurtier, auteure jeunesse à qui l'on doit notamment les romans "Le carnet rouge" et "La fille aux cheveux d'encre".
En mai 1954 aux USA, l'arrêt Brown versus Board of Education autorise les Noirs à pouvoir accéder au même enseignement que les Blancs.
Autant dire que cette décision de la Cour Suprême ne fait pas l'unanimité, particulièrement dans les états sudistes au sein desquels les Noirs sont perçus comme une race inférieure vouée à la servitude.
En 1957, à quelques jours de la rentrée scolaire, le Lycée central de Little Rock en Arkansas ouvre pour la première fois ses portes à 9 étudiants Noirs, lâchés en pâture au milieu de 2500 étudiants Blancs.
" Depuis le trottoir, les habitants du quartier regardaient passer la Pontiac des Costello, le visage grave. Les femmes tenaient leurs petits serrés contre leur jupe. Les hommes restaient sans bouger, les mains enfoncées au fond des poches. Une vraie caricature.
En apercevant des visages plus familiers, Molly tenta quelques saluts de la main, que personne ne lui retourna.
Pourquoi l'observait-on comme ça ? Tout le monde ne la voyait donc que comme une coupable, une folle dangereuse ? Personne dans cette ville n'avait envie de faire bouger les choses ?
Personne n'avait entendu parler du pasteur Martin Luther King ? " p.73
Nous découvrons en alternance les points de vue de Grace et de Molly, deux jeunes filles sur le point de fêter leurs "sweet sixteen" (nom de la fête donnée par les jeunes filles américaines à l'occasion de leurs 16 ans, signant ainsi le passage à l'âge adulte).
Grace est issue d'une famille blanche aisée. Son quotidien se résume à choisir sa tenue du jour et à tenter de séduire Sherwood, le frère de sa meilleure amie Brook.
La mère de Sherwood et de Brook se trouve à la tête d'une association de mères de famille farouchement opposées à ce que leurs enfants fréquentent les Noirs durant les cours (ou ailleurs).
Bien que Grace ne cautionne pas vraiment les actions lancées par ces femmes, elle se préoccupe avant tout de plaire à Sherwood.
Molly fait partie des 9 étudiants noirs admis à Little Rock. A l'annonce de la nouvelle, Noirs comme Blancs tentent de la dissuader d'entrer dans ce lycée. Les uns en la sermonnant sur les risques encourus non seulement pour elle-même mais aussi pour ses semblables, les autres en lui faisant clairement comprendre qu'elle est indésirable.
La jeune fille et ses 8 camarades devront s'y prendre à plusieurs reprises avant de pouvoir atteindre les portes de l'établissement, finalement escortés par l'armée du général Eisenhower...
L'histoire de ces 9 étudiants noirs scolarisés à Little
Rock (tous les lycées américains comportent-ils le mot Rock ?) s'inspire
malheureusement de
faits réels. Ils n'y passeront qu'une année car bien que sur le déclin, l'Amérique ségrégationniste n'a pas encore dit son dernier mot.
Malgré son démantèlement officiel en 1944, le Ku Klux Klan trouve encore ses adeptes et assimile les progressistes/intégrationnistes aux Noirs.
L'auteure fait état d'un
véritable acharnement et d'une violence qui va bien au-delà de l'intimidation et des mots.
J'ai été mortifiée par les réactions et la cruauté de ces lycéens Blancs qui se contentent de répéter ce qu'ils entendent de leurs parents (dans un autre genre, on leur interdisait d'écouter Elvis dont le déhanchement était jugé obscène. Autant dire qu'à cette époque-là Rihanna ou Miley auraient été lapidées avant leur premier twerk).
Mais plus encore par ces extrémistes et ces mères de famille hystériques prêtes à tout pour arriver à leurs fins alors même qu'elles qualifient les Noirs d'êtres dangereux et pulsionnels !
J'ai beaucoup aimé la personnalité de Molly qui, sans jouer les têtes brûlées, trouve le courage de retourner chaque jour au lycée malgré cette ambiance à la "Carrie".
Le personnage de Grace, présentée au départ comme la pétasse superficielle, n'est pas en reste non plus même si il m'a fallu plus de temps pour apprécier sa prise de conscience progressive.
J'ai trouvé ce
climat de tension croissante très bien rendu. Et pour une fois, j'ai réellement pu apprécier un roman jeunesse sans avoir l'impression qu'il s'adressait à un lectorat plus jeune.
Plus qu'un simple roman, "Sweet Sixteen" offre une
triste leçon d'histoire mais présentée comme une invitation à la tolérance et à la non-violence.
Un coup de coeur qui pourrait aussi être le vôtre !
" Peut-être que tout cela ne faisait que commencer. Peut-être que le jour viendrait où les Noirs pourraient assister aux mêmes spectacles que les Blancs. Peut-être que les piscines leur seraient ouvertes toute la semaine, et pas seulement la veille du nettoyage. Qu'un chanteur noir aurait le droit de faire swinguer une femme blanche sans être boycotté. Qu'il serait permis de se marier en mélangeant les couleurs.
- Et peut-être même qu'un jour il y aura un président noir à la Maison Blanche ! s'enflamma-t-elle devant son miroir. " p.105 (les 9 étudiants de Little Rock furent invités par Obama le jour de son investiture :))
Je remercie les
éditions Casterman de m'avoir offert ce roman.