Publié aux USA en 2010 et traduit en français l'année dernière, "Les Imperfectionnistes" est le premier roman de l'écrivain anglo-canadien Tom Rachman.
"Les Imperfectionnistes" n'est pas moins le récit de l'évolution, étalée sur 50 ans, d'un quotidien international basé à Rome que celui de 11 protagonistes qui assisteront, voire même participeront, à son déclin.
Grattes-papier, correcteur, pigiste, secrétaire de rédaction, directrice des ressources humaines, forment une équipe chapeautée d'une main de fer par une impitoyable rédactrice en chef et son adjoint et dirigée par un directeur de publication complètement incompétent.
Nous faisons ainsi connaissance avec Lloyd, un journaliste fauché et en fin de carrière qui cherche désespérément à se remettre en selle pendant que sa femme fricote en toute liberté avec leur voisin.
Arthur Gopal, assigné à la rubrique nécrologique, fait en sorte d'en faire le moins possible jusqu'à ce qu'un événement tragique déclenche en lui un regain d'ambition.
Journaliste économique, Hardy Benjamin ne compte pourtant pas ses sous lorsqu'il s'agit d'entretenir le nouvel homme de sa vie.
Correcteur infaillible, il s'est donné la crédibilité pour maître-mot et pourtant Herman Cohen s'est laissé aller à une erreur de jugement.
Kathleen Solson a beau ne rien laisser passer chez ses employés, à la maison, elle fait plutôt profil bas, tout comme son adjoint Craig Menzies.
Briguant un poste de pigiste au Caire, Winston Cheung fera les frais de sa naïveté et de son manque d'expérience dans le milieu.
Persuadée qu'une remarque acerbe lui fera prendre la porte le lendemain, Ruby Zaga, secrétaire de rédaction célibataire, se réfugie dans la solitude d'une chambre d'hôtel en attendant son heure.
Pendant ce temps, une fidèle lectrice découvre l'actualité avec plusieurs années de retard tandis que l'héritier du groupe Ott, abandonne momentanément son chien et ses Agatha Christie pour annoncer à tout ce petit monde que le journal vit ses dernières heures.
Les personnages autour duquel s'articule le récit sont tout sauf heureux. Occupant pour la plupart des postes à responsabilité, ils jouent les grandes gueules, pestent sans arrêt sur leurs collègues et n'aspirent qu'à quitter au plus vite l'enfer de la salle de rédaction.
Les masques tombent lorsque le lecteur les retrouve en conjoints, pères de famille, éternels célibataires, autant de rôles dans lesquels ils se révèlent être de piètres acteurs (de vraies loques en fait), coupables de petites lâchetés qui laissent entrevoir leur faiblesse.
A croire que trop absorbés par leur travail, ils n'ont plus d'énergie à consacrer à leur vie privée, à ses relations dysfonctionnelles auxquelles ils se raccrochent vaille que vaille par peur de la solitude.
" Nous sommes cernés de monde au moment de naître et cernés de monde au moment de mourir. C'est entre les deux que nous sommes seuls." p.64
Ce qui pourrait faire penser à un recueil de nouvelles s'avère être un roman polyphonique, récit d'existences solitaires et de relations superficielles entre collègues, mais lequel semble toutefois dénoncer d'une même voix l'incompétence et le manque d'ambition d'une équipe dont on se demande comment elle arrive à faire tourner un journal durant aussi longtemps.
Adieu le journalisme d'investigation. Ici on traîne des pieds lorsqu'il faut se déplacer pour une interview, on utilise des mots qu'on ne comprend pas, on multiplie les bourdes façon "Sadisme Hussein", on reporte ses erreurs sur les autres, on cherche le scoop et pour le reste, on se contente des dépêches.
Aucune ambition, aucune décision, aucune prise de risque. Tous semblent avoir perdu le feu sacré qui, comme nous le rappellent les chapitres intermédiaires, animait autrefois Cyrus Ott, fondateur du journal.
S'agissant des coulisses de la presse écrite, je m'attendais à ce que ce roman aborde davantage les aspects de chacun des métiers évoqués. En ce sens, j'ai donc tout d'abord été déconcertée par ce choix de l'auteur de privilégier la vie privée de ses personnages.
Mais il faut bien admettre que les aspects professionnel et personnel sont ici fortement liés - l'un rejaillissant forcément sur l'autre - et permettent de cerner au mieux les personnalités de chacun, au gré de l'écriture tonique de cet ancien journaliste qui connaît fort bien son sujet.
Des portraits férocement cyniques de personnages en phase descendante, si pitoyables qu'ils en deviennent attachants, annonciateurs de la fin d'une glorieuse époque.
Le milieu de la presse n'en ressort pas grandi, c'est le moins qu'on puisse dire.
Un roman désespérant de vérités.
"- Ah ! le bon vieux temps, soupire-t-elle.
- Qu'est-ce qu'il avait de bon ?
- Il avait de bon qu'on pouvait sortir un quotidien à peu près acceptable avec à peu près cinq pour cent des ressources dont j'ai besoin aujourd'hui." p.126
D'autres avis : Amanda Meyre - Sandrine - Keisha - Emmyne